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La vaccination ou la misère française

La vaccination a été un sujet de préoccupation pour nombre de nos concitoyens dès que le coronavirus est apparu. C’est d’abord l’absence de la recherche et de l’industrie pharmaceutique nationale dans la course au vaccin qui a inquiété. Depuis quelques mois maintenant, c’est l’opposition des anti-vaccins qui fait la une de l’actualité. Nous voudrions montrer ci-après que les deux phénomènes sont doublement liés.

L’absence de vaccin français

Le fait que la France soit le seul pays membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU à n’avoir pas réussi à développer un vaccin a été largement commenté. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer.


Tout d’abord, il y a la malchance. La mise au point d’un vaccin est affaire de pari. Sanofi n’a pas misé sur l’ARN et a opté pour une technologie éprouvée à partir de la protéine Spike, mais plus longue à produire ses effets. Elle a été d’autant plus ralentie que le laboratoire a fait des erreurs de dosage qui n’ont que trop faiblement activé le système immunitaire lors des essais. On évoque maintenant la fin de l’année 2021 pour la commercialisation du vaccin Sanofi. L’Institut Pasteur, lui, a tout misé sur son fleuron : l'utilisation du vaccin rougeole (MV) comme vecteur pour d'autres antigènes viraux. Mais avec le SARS-CoV-2 les résultats des essais se sont révélés décevants. Le laboratoire Merck, partenaire de l'Institut Pasteur, a préféré jeter l’éponge. Le développement du vaccin n’a alors pas été poursuivi.


On peut ajouter d’autres causes à l’échec de l’Institut Pasteur, comme la bureaucratie et l’irresponsabilité qui caractérisent les structures publiques. La guerre larvée que se menaient deux chercheurs (Tangy et Escriou), jaloux l’un de l’autre et refusant de coopérer, a aussi été très efficace pour ralentir les travaux de l’Institut. Autre tare assez répandue dans la sphère publique : le rejet du secteur privé. Des accords ont pourtant été signés, dans le passé, entre Pasteur et Moderna ou CureVac, pionner des technologies ARN, mais ils ont capoté sans que l’on sache bien pourquoi. Or, aujourd’hui, c’est la coopération qui permet d’aller vite, comme l’ont montré Pfizer et BioNTech, ou l’Université d’Oxford et AstraZeneca.


S’agissant de Pasteur toujours, l’incurie de l’État est aussi en cause. Celui-ci préfère dépenser l’argent dans le social que dans la recherche. Entre 2011 et 2018, les financements de la recherche en France ont chuté de 28 % alors qu'ils augmentaient, au cours de la même période, de 11% en Allemagne et de 16% au Royaume-Uni. En 2018, la France consacrait l’équivalent de 2,2 % de son PIB, en-deçà de l’objectif de 3 % fixé par l’Union européenne. Signalons que la Corée du Sud était à 4,53 %, le Japon à 3,28 %, la Suède à 3,32 %, l’Allemagne à 3,13 %, les États-Unis à 2,83 %, la Finlande à 2,76 %.


Emmanuelle Carpentier, Prix Nobel de chimie 2020, avait frappé à la porte de l’Institut Pasteur dans les années 2010, mais celui-ci fût incapable de lui proposer un poste intéressant, faute de moyens sans doute. Le salaire annuel brut moyen d’embauche des chercheurs en France n’était qu’à hauteur de 63 % de celui des autres pays de l’OCDE en 2013 (en parité de pouvoir d’achat). La fuite des cerveaux s’explique ainsi aisément. Elle est renforcée par l’omniprésence des tâches administratives qui empiètent sur les activités de recherche et découragent nombre de bonnes volontés.


Bref, tout est fait pour ne pas attirer les meilleurs qui préfèreront émigrer ou rejoindre le secteur privé. De toute façon, la source se tarit d’elle-même : en cinq ans, le nombre de doctorants a baissé de 23 %. Ils étaient 74 450 en 2015 ; ils n’étaient plus que 57 268 l’année dernière.


Mais, nous semble-t-il, deux raisons essentielles à l’échec de la recherche française dans la course au vaccin ne sont jamais citées : la baisse générale du niveau de l’enseignement d’une part, le principe de précaution, constitutionnalisé depuis 2005, d’autre part.


Baisse du niveau scolaire et principe de précaution

La baisse du niveau scolaire a été officialisée en 2020 alors que près de 96 % des candidats obtenaient leur baccalauréat. Quelle valeur peut-on accorder à tel diplôme si tout le monde l’obtient (87 % d’une classe d’âge) ? Les enquêtes Pisa (Programme for International Student Assessment), qui évaluent les compétences des élèves de 15 ans, confirment le déclin français. En mathématiques, le score de notre pays est passé de 517 en 2000 (premier classement Pisa) à 495 en 2018 (dernier classement en date). En sciences, le score est passé de 500 en 2000 à 493 en 2018. On pourrait estimer que la chute n’est pas si terrible. Seulement, pour bien l’apprécier, il convient de regarder le score de la tête du classement : en mathématiques, il était de 560 en 2000 et de 569 en 2018 ; en sciences, il était de 552 en 2000 et de 590 en 2018. L’écart de la France avec le premier du classement était de 43 points en 2000 pour les mathématiques et de 74 points en 2018. En sciences, l’écart est passé de 52 points en 2000 à 97 points en 2018.


L’étude Timss (Trends in Mathematics and Science Study) mesure le niveau des connaissances scolaires des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences, tous les quatre ans depuis 1995. Les derniers chiffres de 2019 ne sont guère encourageants. Pour le CM1, la note française est de 485 en mathématiques (moyenne européenne de 527) et 488 en sciences (moyenne européenne à 522). La France est désormais avant-dernière du classement des 64 pays. Pour les élèves de 4e, ce n’est pas mieux : la France est également en-dessous de la moyenne de l’UE et de celle des pays de l’OCDE dans les deux matières. En mathématiques, le score moyen a même baissé de 47 points en 25 ans. Cette baisse de 47 points correspond à une année de classe : en d'autres termes, le niveau des élèves de 4e de 2019 en maths est équivalent à celui des élèves de 5e en 1995 dans cette matière.


Cette baisse du niveau scolaire, actée depuis 1995 – et peut-être depuis plus longtemps ; faute de mesures, elle est difficile à apprécier, mais la réforme Haby de 1975 en est sans doute le point de départ – ne peut que se répercuter, à terme, sur la recherche française. Les chercheurs sont ainsi de moins en moins nombreux et de moins en moins bons, et donc de moins en moins des « trouveurs ».


La faiblesse de la recherche française s’explique aussi par la constitutionnalisation du principe de précaution. Celle-ci freine l’innovation et l’expérimentation, et pousse, comme le dit le philosophe des sciences Thomas S. Kuhn à renforcer la « science normale », c’est-à-dire déjà validée, au détriment des changements de paradigme et des « révolutions » scientifiques. Dans ces conditions, il n’est pas étrange que la France ait raté le grand virage des vaccins à ARN messager. Et si, par le plus grand des hasards, un laboratoire français avait emprunté cette voie, il est plus que probable que les autorités réglementaires eurent alors mis leur veto à une quelconque commercialisation, principe de précaution oblige. Tout est donc fait pour que l’on n’innove pas.


Les antivax ou le rejet de la science et la peur de l’innovation

La baisse générale du niveau de l’enseignement et le principe de précaution sont aussi à l’origine du fait que les Français sont parmi ceux qui rejettent le plus la vaccination. Certes l’obligation du pass sanitaire a fait que de nombreux Français se sont finalement résolus à se faire vacciner. Néanmoins, la méfiance reste de mise.


En juin 2019, l’institut de sondage Gallup révélait qu’un Français sur trois ne croyait pas que les vaccins étaient sûrs. Sur les 144 pays étudiés, la France était même le pays le plus vaccino-sceptique de tous. En décembre 2020, un sondage réalisé par l’Ifop pour Le Journal du Dimanche nous apprenait que 59 % des Français n’avaient pas l’intention de se faire vacciner lorsque cela deviendra possible.


Comment ne pas lier cette méfiance envers la vaccination à la « fabrique du crétin » dénoncée par Jean-Paul Brighelli en 2006. Philippe Nemo, dans le n°13 du Journal des Libertés (été 2021), a brillamment montré que celle-ci découlait de la pédagogie par séquences à l’œuvre à l’Éducation nationale qui compromet « gravement la rationalité de la démarche éducative ». Pour Nemo, cette pédagogie « habitue les élèves à voir se succéder des ‘thèmes’ surgis chaque fois on ne sait d’où, en lieu et place de savoirs anticipés dans un parcours établi et présentés méthodiquement. Elle les accoutume donc à croire normal que les savoirs soient toujours mal joints entre eux, voire incohérents, et que, par suite, le fait de ne comprendre les choses qu’à moitié soit la norme. Le message envoyé par l’institution à l’élève est qu’en suivant une séquence il a véritablement traité un sujet, alors qu’en réalité il n’a fait que le survoler. L’institution valide ainsi au fil des ans une sorte de connaissance journalistique, impressionniste, irrationnelle ». Tout ceci, conclut le philosophe, « prépare le terrain pour que reviennent en force les croyances naïves, les mythes, les superstitions, les rumeurs, les modes, les idéologies, tous les demi-savoirs et savoirs non étayés, susceptibles de nourrir en situation de crise, on le sait, les fanatismes et les violences ».


C’est donc en grande partie l’Éducation nationale qui est responsable du rejet des vaccins dans notre pays. Mais le principe de précaution est également à l’œuvre. En effet, un des arguments principaux des opposants à la vaccination contre le Covid-19 est que l’on manque de recul pour apprécier l’efficacité des vaccins et qu’il conviendrait d’attendre la preuve de leur innocuité. N’est-ce pas là l’application pure et simple du principe de précaution ?


Constitutionnaliser le principe de précaution et refuser ensuite aux citoyens d’y faire référence relève de la plus grande hypocrisie de la part de politiques et fonctionnaires qui pourtant le brandissent souvent pour ne pas agir.


Joseph Meister n’eut pas toutes ces appréhensions lorsqu’en juillet 1885 Pasteur expérimenta sur lui son vaccin antirabique. Ni lui, ni ses parents n’avaient pourtant leur baccalauréat !


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