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L’acédie ou LE mal d’aujourd’hui

Acédie. Voilà un mot qui n’appartient pas au vocabulaire courant (la preuve en est que Word ne le reconnaît pas !). Il pourrait cependant devenir très vite populaire tant il résume à lui seul bien des travers de notre époque.

Hyperactivité, hyperconsommation, exacerbation des émotions, divertissement à tout prix, recherche désemparée du bonheur, fuite éperdue sur les réseaux sociaux, agressivité, « à-quoi-bonisme » ou abandon de ses engagements, errance, quête frénétique de soi, burn-out (mais aussi brown-out et bore-out), etc. Telles sont les manifestations les plus visibles de l’acédie aujourd’hui.


Mais qu’est-ce que l’acédie ? Alexandra Puppinck Bortoli s’évertue à nous l’expliquer dans son livre « Le mal à l’âme. L’acédie, de la mélancolie à la joie » (éditions du Cerf).


L’acédie ou le « démon de midi »

Ceux qui connaissent le vocable savent qu’il est synonyme de « démon de midi », vous savez cette crise qui frappe surtout les hommes à l’approche de la cinquantaine et qui les conduit souvent dans les bras d’une fille plus jeune. Mais le lecteur qui s’attend ici à lire des histoires croustillantes de couples en déshérence seront déçus. Alexandra Puppinck Bortoli entend avec son ouvrage remettre, en quelque sorte, les pendules à l’heure en nous éclairant sur ce qu’est vraiment l’acédie.


Si l’acédie et le « démon de midi » sont bien synonymes, ils n’ont pas grand-chose à voir avec la crise du milieu de la vie. L’acédie appartient au vocabulaire religieux. Elle désigne l’ennui, la somnolence ou la tiédeur de l’âme, l’indolence métaphysique ou la fatigue spirituelle qui frappent, parfois, « les plus fervents ou les plus mystiques des serviteurs de Dieu ». Elle est « l’épreuve suprême où le solitaire découvre avec effroi que Dieu se dérobe à son cœur. Il n’éprouve plus aucun désir pour la vie spirituelle. Toute action, toute prière est un calvaire. Tout élan vers Dieu ou toute transcendance est brisé. L’âme tendue vers Dieu s’écroule sur elle-même ». C’est donc un mal qui frappe avant tout le moine, l’ermite, et ce sont Évagre le Pontique (345-369), Jean Cassien (360-435), célèbres pères du désert, qui en parlent le mieux.


Si l’acédie est « démon de midi », c’est, nous dit Alexandra Puppinck Bortoli, parce qu’elle « assaille le moine à l’heure la plus chaude où le temps semble figé. Nul ombre lorsque le soleil est au zénith. Le jeûne se fait ressentir, l’unique repas est à 15 heures et la journée n’en finit pas… Fatigué, éprouvé dans son corps, le moine baisse la garde, la volonté vacille. Le démon peut sévir à loisir semant doutes et désordres dans son esprit ».


Au gré des circonstances, et des papes, l’acédie disparaît ou réapparaît dans la liste des péchés capitaux. A la Renaissance, elle est définitivement sortie de la liste pour être remplacée par la paresse.


L’acédie ou l’oubli de l’âme

L’acédie est donc apparentée à la paresse, puisqu’elle détourne le moine de ses devoirs spirituels. Elle est aussi, au fil du temps, assimilée à l’ennui, à la mélancolie, au spleen, à la neurasthénie, voire à la dépression. Ainsi, petit à petit, l’acédie passe du péché à la maladie. Ce glissement n’est pas neutre, car si l’acédie est une maladie, celui qui en est frappé n’en est évidemment pas responsable. Il devient une victime.


Alexandra Puppinck Bortoli entend bien redonner tout son sens à l’acédie, « trop souvent réduite à ses facettes » et qui perd ainsi « sa dimension spirituelle de péché ». Or, elle n’est pas une simple paresse, mais « un mépris et un renoncement à notre vocation et à la vie de notre âme ». Elle n’est pas davantage une banale mélancolie ou une déprime, mais « une tristesse face au vide d’une vie sans Dieu ». Elle est, écrit l’auteur, « la mort de la vie de l’âme par la rupture du lien à la transcendance qui permet à l’âme de s’élever et de vibrer ».


En cherchant, comme on le fait aujourd’hui, à séculariser, acculturer, moderniser l’acédie, on la vide immanquablement de son sens. On oublie trop rapidement que, si elle est « maladie », elle est celle de l’âme. Or si le corps malade est pris en charge par le médecin et l’esprit malade par le psy, qui soigne l’âme malade aujourd’hui ? Personne !


L’acédie, d’une brûlante actualité

Théorisée, si l’on peut dire, par les pères du désert au IVe siècle, l’acédie est d’une brûlante actualité. Peut-être est-elle-même LE mal contemporain.


Tous les symptômes de l’acédie cités plus haut perdureront, et même s’aggraveront, nous dit Alexandra Puppinck Bortoli, si l’homme contemporain persiste à ignorer son âme. Car « sans âme et sans verticalité, le corps et l’esprit vont se prouver qu’ils peuvent bien se passer d’elle ».


L’auteur nous enjoint à prendre conscience de ce manque d’âme, de ce monde horizontal dans lequel nous vivons, « sans verticalité et sans transcendance, où le relativisme et le matérialisme ont brisé les Absolus » et où « la Beauté, le Divin, l’Amour et la Vérité ont perdu leur sens ».


Thomas d’Aquin pensait que l’acédie était un péché contre la joie. La vaincre, nous dit Alexandra Puppinck Bortoli, « revient alors à retrouver la joie ». Beau programme en perspective, mais comment faire ? L’auteur nous donne quelques pistes – que nous laisserons au lecteur le soin de découvrir par lui-même – qui toutes cherchent à nous faire entrer dans un rapport différent à la vie, « à la fois simple et exigeant, où notre vie quotidienne et notre vie spirituelle ne font qu’une, où notre corps, notre esprit et notre âme s’alignent ».


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