Big Society contre Big Government – 5/ Bilan et perspectives
Comme nous l’avons vu tout au long de ces quatre derniers articles (1, 2, 3 et 4), la Big Society est un mouvement qui concerne nombre de domaines de l’action publique et de la vie quotidienne des Britanniques.
Ses résultats sont mitigés. Ils sont, à bien des égards, excellents dans le domaine de l’éducation. Ils sont encourageants pour les Social Impact Bonds et dans le domaine de la santé. Ils sont encore incertains pour le Work Programme. Quant à la mise en œuvre de l’Universal Credit, elle semble compromise, du moins dans sa forme initiale.
Il ne faut pas oublier que la mise en œuvre de la Big Society s’est faite dans un contexte difficile, celui de la « cure d’austérité » mise en place par le gouvernement Cameron.
D’ailleurs nombreux sont ceux qui considèrent que la Big Society n’est qu’un slogan servant à masquer la politique d’austérité et les coupes budgétaires. Peut-être est-ce le cas. Mais ce serait mal comprendre ce qu’est réellement la Big Society.
En effet, son ambition est bien plus grande. Elle consiste, ni plus ni moins, à déshabituer les citoyens de l’État, à réduire le besoin d’État. C’est donc une œuvre de salubrité publique, mais une œuvre de longue haleine. En tout cas, elle dépasse l’horizon des échéances électorales.
Pour autant, la Big Society de David Cameron n’est pas exempte de critiques.
La première que l’on peut lui adresser réside dans la contradiction qu’il y a à susciter d’en-haut, par l’État, des logiques bottom up. Cette contradiction comporte « le risque d’une recentralisation excessive ou celui d’échouer à recréer des institutions [intermédiaires] irrémédiablement disparues ». Dans le même ordre d’idées, on peut craindre, à terme, une confusion entre le secteur public et le secteur associatif (le tiers secteur), le second n’existant finalement que par le premier et n’ayant pas d’existence autonome. Certains, enfin, craignent « l’instrumentalisation des institutions intermédiaires au service d’objectifs politiques ».
La seconde critique est plus fondamentale puisque le moins d’État ne semble pas atteindre les finances publiques britanniques. En effet, Cameron défend la sanctuarisation des budgets des retraites, de la santé et de l’éducation. Bref, il « assume la hausse inéluctable des dépenses sociales – notamment celles de santé et de retraites ». Ainsi, plus qu’un abandon ou un démantèlement de l’État providence, il s’agirait donc d’un recentrage sur la santé et les retraites. Mais, comme l’indique l’Institut de l’entreprise, « à l’avenir, il n’est pas certain qu’il existe encore des marges de manœuvre pour dégager le surplus nécessaire à leur financement. Le risque est alors de rogner sur la qualité des services publics de base, ou de consentir à voir la part des dépenses globales augmenter à nouveau en proportion du revenu national ».
Toujours est-il que l’expression même de Big Society est aujourd’hui abandonnée. Elle serait politiquement « toxique ». Mais cela ne signifie pas que l’idée est mise au placard, ni que les réformes vont s’arrêter.
Car la Big Society a véritablement opéré une transformation structurelle de grande ampleur. En ce sens, elle s’inscrit dans la continuité de la révolution conservatrice de Margaret Thatcher. Cette dernière avait entre autres choses, on s’en souvient, réduit les impôts, privatisé à tout va, y compris dans l’énergie et les transports, et « offert la possibilité à un million de locataires du secteur social de racheter leur logement ». Mais, elle avait aussi buté sur certains obstacles. En particulier, les dépenses sociales avaient continué à croître, augmentant à leur tour la part des dépenses publiques dans le PIB. Mais, le mouvement était lancé, et Cameron, en quelque sorte, continue le job.
Et la France dans tout ça ? Elle semble bien éloignée de toute réflexion de ce genre. Pourtant, comme le montre l’Institut de l’entreprise, elle aurait tout intérêt à s’inspirer de la Big Society, en tout cas de sa grille d’analyse. Et le think tank patronal de retenir quelques axes de propositions :
- « la modernisation des services publics passe par la transparence et le choix offert aux usagers, plutôt que par un système autoritaire qui impose d’en haut de nouvelles contraintes » ; - « c’est dans les ressources de la société elle-même que se trouvent les remèdes à ses propres difficultés. Le potentiel de la société civile – des groupes ou des habitants qui la composent – est aujourd’hui largement sous-exploité […] » ; - « l’uniformité dans les services publics n’est pas un gage d’égalité ; le recours à la diversité des offres et des prestataires peut être une réponse aux inégalités de fait par un système censé éviter ces dernières » ; - « une approche entrepreneuriale est possible – et surtout souhaitable – dans le domaine des politiques sociales, selon les principes suivants : ouverture des services et diversité des prestataires, logique d’expérimentation, évaluation et transparence » ; - « enfin, on peut s’interroger sur l’efficacité actuelle de l’État providence français au regard de celle de la société providence qui lui préexistait. Si une telle société providence apparaît comme un recours pour mettre un frein à l’expansion irrépressible de l’État providence, c’est parce qu’elle contient en elle les fondements d’une morale de la responsabilité, sans laquelle aucune politique de solidarité ne saurait être viable ».
Après cela, la mesure de la loi Macron visant à libéraliser le transport des voyageurs par cars, ou la nouvelle idée de Michel Sapin consistant à supprimer le seuil minimal pour payer par carte bancaire en demandant aux banques d’enlever les frais fixes sur les transactions imposés aux commerçants, apparaissent bien dérisoires.
L’opposition n’est pas en reste. Elle n’a, à ce jour, aucun véritable projet de société, aucune vision déclarée.
Cela ne viendrait-il pas du fait que nous n’avons pas encore eu notre Margaret Thatcher ?