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La France et les touristes : « je t’aime, moi non plus » !

C’est en pleine grève des transports publics de décembre 2019, alors qu’il faut 45 minutes pour parcourir en voiture les huit kilomètres qui séparent la porte de Bagnolet de la porte de La Chapelle à Paris, qu’Anne Hidalgo, maire de la capitale, a choisi d’annoncer son nouveau projet pour le boulevard périphérique.

Même congestionné, celui-ci reste une artère vitale en l’absence de trains et de métros. En temps normal, 1,2 million de véhicules l’empruntent chaque jour. Beaucoup plus pendant les grèves. Cela est insupportable à la maire de Paris qui développe une véritable phobie de la voiture. Cet axe de déplacement essentiel à la région parisienne doit donc devenir littéralement impraticable.

Anne Hidalgo a donc annoncé, le 10 décembre 2019, vouloir mettre en œuvre pour 2024, à l’occasion des Jeux olympiques, les préconisations du rapport qu’elle avait commandé à la mission d'information et d'évaluation sur l’avenir du périphérique. À savoir une vitesse limitée à 50 km/heure, une voie sur trois réservée au covoiturage et aux véhicules propres.

La maire de Paris ne fait là qu’emboîter le pas à son rival, Gaspard Gantzer, ancien communicant de François Hollande, qui veut lui prendre son siège. Celui-ci a, effet, annoncé qu’une fois élu, il supprimerait le périphérique. Autre candidat au poste de maire de la capitale, Benjamin Griveaux (LAREM), plus réaliste, propose d’en couvrir certaines parties pour lutter contre la pollution et le bruit.

Mais revenons à Anne Hidalgo. Elle voudrait décourager les touristes d’assister aux Jeux olympiques qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. Car l’afflux de visiteurs va nécessairement embouteiller un peu plus le célèbre périph’. N’oublions pas, en effet, que la liaison ferroviaire CDG Express entre Paris et l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle a été reportée à fin 2025 au lieu d’être disponible dès 2024 comme prévu initialement.

Trop de touristes à Paris ?

Mais n’y a-t-il pas déjà trop de touristes à Paris, comme ailleurs dans le monde ? Partout des voix s’élèvent pour faire barrage aux touristes. Toutes les grandes villes – Barcelone, Venise, Madrid, Londres, Amsterdam… – se plaignent de l’afflux de visiteurs et envisagent des quotas, des taxes, des fermetures de plages, des déviations pour les paquebots de croisière, etc.

À Paris, première destination touristique française, la mairie a organisé un colloque en juillet 2019 intitulé « Y a-t-il trop de touristes à Paris ? ». Il est vrai qu’avec 50 millions de visiteurs dans la capitale et sa région en 2018, on peut parfois avoir l’impression d’un trop plein.

Gaspard Gantzer, décidément adepte des propositions farfelues, propose d’interdire les cars touristiques et de réduire à 30 le nombre de nuitées Airbnb autorisées par an et par logement (aujourd’hui 120).

Des propositions qui ne sont, en réalité, pas très éloignées de ce que veut l’actuelle majorité municipale. Emmanuel Grégoire, premier adjoint au maire, explique que la ville veut bannir les bus touristiques du centre. Il ajoute : « Les touristes, comme tout le monde, devraient passer aux transports publics ou aux moyens de transport respectueux de l’environnement, tels que le vélo ». On sait donc désormais comment les spectateurs des JO rejoindront le centre de la capitale après avoir débarqué de l’un des aéroports !

Régulièrement pointée du doigt pour son insécurité, sa saleté, ses embouteillages, l’anarchie sur les trottoirs, les vendeurs à la sauvette sur tous les lieux touristiques, etc., la capitale ne fait en réalité pas vraiment d’efforts pour attirer les touristes.

Aude Deboaisne, vice-présidente de la Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC), est catégorique dans Le Parisien du 2 juillet 2019 : « Non, il n’y a pas trop de touristes. Mais Paris doit s’engager pour assurer un accueil de qualité de ses visiteurs. Actuellement, c’est totalement bâclé ».

Objectif : 100 millions de touristes en 2020

Si la mairie de Paris veut faire fuir les touristes, le gouvernement entend, lui, les attirer. Il s’est fixé l’objectif d’accueillir 100 millions de touristes internationaux et d’atteindre 60 milliards d’euros de recettes en 2020.

L’objectif paraît bien ambitieux. Il faudrait, en effet, une progression de plus de 12 % par rapport à 2018 alors même que, selon le premier ministre, le début de l’année 2019 a été mitigé avec une baisse de de 5,6% de la fréquentation sur les deux premiers mois de l’année par rapport à la même période de 2018. Et avec les grèves dans les transports en cette fin 2019, les touristes seront probablement aussi moins nombreux pour les vacances de fin d’année.

Certes la France se gargarise d’être la première destination touristique mondiale, avec plus de 89 millions de touristes en 2018 (+ 3 % par rapport à 2017). Le secteur, si l’on se fie aux chiffres fournis par le ministère des affaires étrangères (qui en a la responsabilité), représente 7,2 % du PIB, 56,2 milliards d’euros de recettes (+ 5 %), et 2 millions d’emplois directs et indirects.

À y regarder de plus près, la France du tourisme est moins rose que le gouvernement le déclare. Deux députés – Marguerite Deprez-Audebert et Didier Martin – dans un rapport présenté le 24 juillet 2019, affirment que « Les bons résultats français en matière de tourisme doivent toutefois être nuancés. Les recettes sont largement en deçà de leur potentiel, la France perd globalement des parts de marché et souffre de difficultés structurelles qui nuisent au développement de l’économie touristique. »

Indiquons que le nombre de touristes par habitant place la France (1,3 touriste/habitant) en septième position européenne, loin derrière la Croatie, l’Autriche et la Grèce qui occupent les premières places du classement.

Le rapport indique qu’en matière de recettes touristiques totales, la France ne se situe plus qu’à la troisième marche du podium, derrière les États-Unis et l’Espagne. Une moindre performance due au fait que les visiteurs ne dépensent, en moyenne, que 260 € chacun, ce qui placerait la France en soixante-troisième position s’agissant des dépenses journalières des touristes étrangers sur le sol national.

Les députés citent également des chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme, selon laquelle la France, qui représentait 8 % du tourisme en 1978, n’en représenterait plus que 3,5 % aujourd’hui.

La situation française n’est donc pas si reluisante que cela, comme le précise un article de La Tribune :

« En combinant les trois principaux indicateurs pertinents – celui du nombre de touristes par habitant, des recettes touristiques en fonction du PIB et du chiffre d'affaires moyen par touriste — c'est finalement le Portugal qui arrive en tête grâce à une stratégie offensive de montée en gamme et de développement de l'offre, tout comme la Croatie et l'Espagne qui complètent le podium. L'Autriche et la Grèce intègrent le top 5. La France tombe de son piédestal et se retrouve en 7e position et renvoie l'image d'un pays qui sous-exploite son potentiel touristique, tout comme l'Italie reléguée à la 10e place. Deux pays qui partagent pourtant l'un des plus beaux patrimoines culturels, mais qui vivent en bonne partie sur leurs acquis. » [1]

La concurrence s’intensifie

Deprez-Audebert et Martin se réjouissent que le gouvernement ait annoncé la baisse du seuil de détaxe de 175 à 100 euros d’ici 2021. Cela devrait stimuler la consommation des touristes extra-européens. Mais, ils ne disent rien des déficits publics français qui, faute de réduction des dépenses, obligent à avoir des taux d’imposition qui renchérissent les prestations touristiques françaises. Les visiteurs étrangers se plaignent régulièrement du rapport qualité-prix français.

Ils veulent développer l’œnotourisme, mais ils ne disent rien de la loi Evin. Ils veulent un tourisme « durable et responsable » qui ne soit pas cantonné à Paris et à la Côte d’Azur, mais ne disent rien de la pollution visuelle des éoliennes. Ils souhaitent développer les aéroports de province, mais oublient de préciser que, selon le classement Airhelp des aéroports, les deux principales portes d’entrée en France que sont Roissy et Orly ne se positionnent qu’aux 121ème et 126ème places sur 132.

Les deux députés pensent pourtant que la France pâtit, en matière de tourisme, d’un manque de vision ambitieuse portée au niveau national. Ils écrivent ainsi : « Ce relatif désintérêt des pouvoirs publics pour le tourisme constitue une erreur stratégique importante ». Mais, appartenant tous deux à la majorité présidentielle, Deprez-Audebert et Martin peuvent-ils vraiment faire des propositions qui ne soient pas que des pis-aller ?

Pendant ce temps-là, de nouveaux concurrents apparaissent. N’a-t-on pas vu, il y a quelques mois, dans la presse, le métro parisien et sur les panneaux des grandes agglomérations, des publicités vantant la vallée d’Alula dans laquelle les temples nabatéens sont, paraît-il, splendides, ou mettant en valeur les eaux cristallines de la mer Rouge ? Des publicités qui émanaient de l’Arabie saoudite. Le royaume wahhabite n’accordait jusqu’à présent que des visas aux pèlerins musulmans, aux expatriés et, depuis récemment, aux spectateurs de rencontres sportives ou d’évènements culturels. Désormais, il délivrera aussi des visas de tourisme.

D’autres pays pensent que les touristes sont les bienvenus chez eux, comme le Canada et le Royaume-Uni qui viennent tous deux de publier une stratégie en faveur du tourisme. De quoi faire un peu plus tomber la France du piédestal sur lequel elle croit être intouchable ?

[1] Alexandre Milicourtois, « Tourisme : quels sont les vrais pays performants ? », La Tribune, 20 juin 2019.

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