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Et si l’on s’inspirait de la Suisse pour réformer l’enseignement professionnel ?

Le gouvernement veut réformer l’enseignement professionnel. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, a présenté son projet le 28 mai 2018. Que contient-il ?

Remplaçons l'enseignement professionnel par l'apprentissage

Introduction

Après l’enseignement général, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer entend réformer – pardon « transformer » pour reprendre la phraséologie officielle – l’enseignement professionnel. Un projet qui s’ajoute à la réforme de l’apprentissage que nous avons présenté ici-même le mois dernier.

Comme toutes les « transformations » voulues par le gouvernement d’Édouard Philippe, celle-ci se veut ambitieuse. Il s’agit, en effet, de faire du lycée professionnel « un lieu de formation d’avenir ». Mais les mesures présentées sont-elles à la hauteur de l’ambition annoncée ?

Le projet de loi

Avant d’examiner les mesures que souhaite mettre en œuvre Jean-Michel Blanquer, attardons-nous quelques instants sur le constat qu’il fait de l’enseignement professionnel français.

Un constat réaliste…

Le ministre de l’Éducation nationale ne cache pas les difficultés que connaît l’enseignement professionnel en France. Cette voie de formation scolaire attire 665 000 élèves, soit un lycéen sur trois. Mais derrière ces chiffres se cachent de grandes disparités.

En effet, plus de 80 % des élèves préparent un bac professionnel et 17 % un CAP. Dans la filière apprentissage, les proportions sont différentes puisque 39 % des apprentis préparent un diplôme de niveau CAP contre 24 % pour le niveau bac pro. Cela semble indiquer que la filière apprentissage est considérée comme une voie de garage par l’Éducation nationale, qui réserve pour ses établissements, les jeunes pouvant accéder au niveau bac.

Pourtant, en matière d’insertion professionnelle, les chiffres montrent que la filière apprentissage est plus efficace : 70 % des apprentis, toutes disciplines confondues, trouvent un emploi sept mois après leur formation. Dans l’enseignement professionnel scolaire, 52 % des jeunes sont au chômage sept mois après la fin de leur scolarité. Bien sûr, ces chiffres varient énormément selon la spécialité choisie.

Il convient également de prendre en compte le fait que si l’enseignement professionnel compte plus de 300 spécialités, trois d’entre elles regroupent deux tiers des élèves : gestion-administration ; commerce ; accompagnement, soins et services à la personne. Les formations sont donc essentiellement tertiaires. Dans l’apprentissage, à l’inverse, près de 60 % des jeunes sont en formation dans le domaine de la production (industrie, BTP, etc.).

Jean-Michel Blanquer veut faire de l’enseignement professionnel scolaire « un tremplin vers une insertion immédiate dans la vie active ou vers des poursuites d’études réussies ». Voyons donc les mesures qu’il propose pour y arriver.

… mais des mesures qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu

Le ministre de l’Éducation nationale propose trois séries de mesures afin de « donner au lycée professionnel l’attractivité et le prestige qu’il mérite et lui permettre d’agir en puissant catalyseur de promotion, de transmission de compétences pour répondre aux défis de l’économie et de la société ».

Le premier levier qu’entend actionner le gouvernement est celui de la création de « campus d’excellence au cœur des régions ». Une initiative de ce genre a été lancée en 2013, avec les « campus des métiers et des qualifications » dont 78 existent à ce jour, mais, il faut bien le dire, sans véritable réussite.

C’est pourquoi, le ministre de l’Éducation nationale veut aller plus loin en créant des « campus d’excellence » regroupant des infrastructures culturelles et sportives, un internat, des établissements d’enseignement secondaire et supérieur, des centres techniques et de recherche, des centres de formation (y compris des centres de formation d’apprentis), des entreprises partenaires, des fablabs, incubateurs et autres pépinières d’entreprises. Trois campus par région devraient émerger d’ici 2022. Pour cela, le gouvernement va lancer un appel à projets doté de 50 millions d’euros, dans le cadre du « programme d’investissement d’avenir ».

Deuxième série de mesures : revoir le contenu des formations et des diplômes, notamment pour former les élèves aux outils et techniques professionnelles de pointe.

Enfin, le projet du ministre Blanquer prévoit de promouvoir des parcours d’excellence et de réussite. C’est le troisième pilier de la réforme qui passe par la valorisation des parcours professionnels dès le collège avec notamment :

  • une meilleure information sur les métiers et les formations ;

  • la possibilité de faire le stage de découverte – actuellement en classe de 3ème – dès la classe de 4ème ;

  • la création d’une banque de stages pour permettre aux collégiens des quartiers prioritaires de la politique de la ville de découvrir le milieu professionnel.

Cette troisième série de mesures comprend également une personnalisation du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) qui pourra se préparer en un, deux ou trois ans selon les profils et les besoins des élèves. Quant au baccalauréat professionnel (bac pro), les cursus vont être rénovés afin de proposer une spécialisation progressive (et non plus dès la classe de seconde) qui trouvera son aboutissement dans la réalisation d’un « chef d’œuvre ». En terminale, le lycéen pourra s’orienter soit vers l’insertion professionnelle et l’entrepreneuriat, soit vers la poursuite d’études. Ainsi des passerelles seront créées pour faciliter l’évolution vers le BTS.

Le ministère lancera également un appel à projets pour expérimenter des « organisations pédagogiques très innovantes ». Il souhaite également permettre à chaque lycée professionnel d’accueillir des apprentis. Enfin, l’évaluation sera revue, avec davantage de contrôle continu.

Toutes ces mesures ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. Certes, il est permis de s’interroger sur le côté « gadget » de certaines d’entre elles, d’autant plus quand elles mobilisent d’importants moyens financiers. C’est le cas des « campus d’excellence » qui font irrémédiablement penser à la rénovation des quartiers et aux milliards dépensés dans la politique de la ville. Autres mesures « gadget », le stage de découverte dès la classe de 4ème ou encore la banque de stages.

Bien sûr, il est difficile de rejeter l’adaptation des diplômes aux réalités des entreprises et du marché du travail, mais on s’interroge sur le fait que ce ne soit déjà pas le cas aujourd’hui.

On se demande, en revanche, pourquoi faire entrer l’apprentissage encore un peu plus dans le giron de l’Éducation nationale en accueillant des apprentis au lycée. Ne serait-il pas plus pertinent, comme nous l’avons déjà proposé, de faire le contraire, c’est-à-dire transformer petit à petit les lycées professionnels en CFA ?

Enfin, la rénovation et la personnalisation des cursus, l’ouverture de passerelles vers l’enseignement supérieur ou encore l’encouragement à l’innovation pédagogique pourraient se révéler intéressantes. Mais, dans ce domaine comme dans bien d’autres, le diable est dans les détails. Il faudra donc juger sur pièces et ne pas se contenter des annonces ministérielles.

Reste une question de fonds : tout cela permettra-t-il de faire de la voie professionnelle une filière d’excellence comme le souhaite et le promets le ministre de l’Éducation nationale ?

Examinons ce que cela pourrait être en nous attardant sur ce qui se pratique chez nos voisins suisses.

La voie suisse

La Suisse a véritablement fait de la filière professionnelle une filière d’élite, qui débute dès le plus jeune âge. Les résultats sont éloquents : plus de 90 % des Suisses sont diplômés ; le chômage est de 4,7 % (contre 8,9 % en France) et de 8 % chez les jeunes (22,3 % en France), en 2017 selon l’OCDE.

Brève description de l’enseignement secondaire suisse

Après l’école enfantine (maternelle) dès 4 ans, puis l’école primaire, les élèves Suisses entrent dans le Secondaire I (collège) à 12 ou 13 ans. À l’issue de ce cycle, qui dure 3 ans, ils ont terminé leur scolarité obligatoire.

Bien sûr, la plupart d’entre eux poursuivent leur scolarité, cette fois post-obligatoire, soit dans le Secondaire II, soit dans une formation professionnelle. Le Secondaire II conduit à la maturité (baccalauréat). Il est composé de deux filières :

  • la filière générale qui conduit, en trois ans, à la maturité gymnasiale. Seuls 20 % des jeunes Suisses s’engagent dans cette voie ;

  • l’école de culture générale, qui forme aux métiers de la santé et du social et débouche sur une maturité spécialisée. Cette filière attire 15 % des élèves Suisses.

Enfin, les 65 % restant s’engagent dans une formation professionnelle en apprentissage, généralement appelée formation duale, que nous présenterons plus longuement dans la partie suivante.

Il convient tout de même de noter que 80 % des jeunes Helvétiques choisissent une formation professionnelle : 65 % dans la formation duale, et 15 % dans l’école de culture générale.

Ce système fait que 90 % des jeunes obtiennent un diplôme de fin d’études secondaires en Suisse. Mais seuls 37,5 % sont titulaires d’une maturité (gymnasiale, spécialisée ou professionnelle) leur permettant de poursuivre leurs études dans une haute école.

L’apprentissage au cœur de l’enseignement professionnel

L’orientation vers le système dual (ou apprentissage) s’opère dès la fin de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire à 15 ou 16 ans. Le rythme de l’alternance généralement pratiqué est de 3 ou 4 jours par semaine en entreprise, et 1 à 2 jours en école professionnelle pour acquérir les bases théoriques nécessaires à l’exercice du métier. Les apprentis peuvent accéder à 250 formations différentes.

La formation peut durer deux ans et déboucher sur une attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) ; ou trois ou quatre ans, sanctionnés alors par un certificat fédéral de capacité (CFC). Les apprentis titulaires du CFC ont ensuite le choix d’accéder directement à la vie professionnelle, de poursuivre leurs études dans une école supérieure professionnelle, ou bien encore de passer une maturité professionnelle qui leur donnera accès aux hautes études (voir infra).

L’apprenti est considéré, en Suisse, comme un salarié à part entière. L’entreprise le recrute comme elle le ferait pour n’importe quel autre salarié. En général l’employeur tient compte des performances scolaires du jeune, mais il se fie également à un entretien d’embauche au cours duquel la motivation et le comportement du candidat sont appréciés. Notamment, l’entreprise pourra s’intéresser à ce que le jeune collégien a fait, vers 13 ou 14 ans, soit deux ans avant la fin de la scolarité obligatoire, pour s’informer sur les formations et les métiers. Pendant cette période de recherche d’un employeur et de recrutement, les jeunes Suisses sont activement accompagnés par leurs professeurs.

Certaines entreprises font passer des tests d’aptitude. En général, le processus de recrutement débute en décembre pour se conclure en juin. Bref, obtenir une place en apprentissage n’est pas un dû. Cela se mérite. En moyenne, « un adolescent doit déposer 18 candidatures pour trouver un poste »[1].

Une fois embauché, le jeune est alors automatiquement admis dans une école professionnelle, la plupart du temps conseillée par l’entreprise. Il faut souligner que les entreprises, et leurs représentants, sont fortement impliqués dans le contenu même des formations professionnelles à travers les OrTra (organisations du monde du travail). Le développement d’enseignements sans lien directs avec les attentes du marché est dont impossible.

Dans l’entreprise, l’adolescent a un interlocuteur principal : son maître d’apprentissage. Celui-ci n’est pas désigné par hasard. Il doit « prouver une compétence pédagogique qu’attesteront un brevet de maîtrise ou un diplôme d’une HES, ainsi qu’un suivi d’enseignement en rapport avec le domaine où atterrit l’élève. Faute de capacités personnelles et de pouvoir démontrer cette qualité attendue, les maîtres d’apprentissage sont remplacés » [2]. Le maître d’apprentissage est également très impliqué dans l’évaluation du niveau de compétences et de connaissances atteint par l’apprenti, et suit de près les résultats obtenus en école professionnelle.

Considéré, nous l’avons dit, comme un salarié à part entière, l’apprenti Suisse, comme le Français d’ailleurs, est rémunéré. Il perçoit entre 25 % et 78 % du salaire conventionnel de la branche professionnelle choisie. L’adolescent partage aussi pleinement la vie de ses collègues et bénéficie, quand elles existent, de la cafétéria, de la cantine, ou encore des primes de fin d’année.

Bref, l’apprenti en Suisse est immergé dans la vie professionnelle à l’âge de 15 ou 16 ans. Et cela n’est pas toujours facile :

« À 16 ans, vous changez de vie ! Le saut est incroyable. Ma fille est en première année d’apprentissage et tous les matins, je la dépose à 6h45 à l’arrêt de bus afin qu’elle soit à 7h15 au boulot ! Sans que rien vous y ait préparé, vous basculez du jour au lendemain dans les contraintes du travail, avec une hiérarchie, des consignes qui ne se discutent pas, sans pause toutes les 45 minutes. De 14 semaines de congés annuels, on passe à 5 semaines ! Ce saut vertigineux, aucun jeune ne peut le trouver simple » [3].

L’enseignement professionnel supérieur

L’adolescent qui veut intégrer une haute école spécialisée (HES) doit préalablement obtenir la maturité professionnelle.

Les HES, au nombre de huit (sept publiques et une privée), proposent une formation à la fois scientifique et orientée vers la pratique et l’application. Elles délivrent des bachelors et des masters. Pour l’instant, elles ne mènent pas au doctorat. Le contenu des formations est, là encore, déterminé en plein accord avec les professionnels.

Si la maturité professionnelle du jeune étudiant est sans rapport avec le domaine d’études visé en HES, il doit obtenir « une expérience professionnelle qualifiante » en passant six mois à un an dans une entreprise.

Les HES, de création relativement récente – 1994 –, sont donc loin d’être une voie de garage pour bacheliers incapables de suivre des études abstraites. Elles s’inscrivent dans la continuité des études professionnelles du secondaire, et permettent la montée en gamme de l’industrie helvétique. A tel point que 20 % des titulaires d’une maturité gymnasiale (bac général) s’engagent dans cette voie plutôt que dans la voie universitaire à laquelle ils sont normalement destinés.

S’il est titulaire du certificat fédéral de capacité (CFC), le Suisse ne se voit pas pour autant fermer la porte des études supérieures. Il peut, en effet, postuler à une école supérieure professionnelle. Chaque école décide de sa procédure d’admission. Elle peut demander au candidat une expérience professionnelle et un examen d’aptitude.

Dans les écoles supérieures professionnelles, les étudiants acquièrent des compétences leur permettant d'assumer de manière autonome des responsabilités aussi bien au niveau technique qu'à celui de la gestion, ceci dans leur domaine de spécialisation. Une fois encore, le contenu des formations est établi en collaboration avec les organisations du monde du travail (OrTra).

La formation se déroule à temps plein (pendant deux ans), ou à temps partiel (en trois ans) en parallèle d’une activité professionnelle à mi-temps dans le même domaine. Les écoles supérieures délivrent des diplômes reconnus au niveau fédéral qui précisent la filière d’études et le titre avec la mention « dipl. » complété par « ES » (pour école supérieure). Par exemple : « technicien dipl. ES, construction en bois ».

La formation professionnelle continue

L’adolescent suisse qui a choisi d’entrer dans la vie professionnelle après l’obtention de son CFC peut, après plusieurs années d’expérience professionnelle, approfondir ses connaissances ou se préparer à occuper un poste de cadre en tentant d’obtenir un examen professionnel fédéral ou un examen professionnel fédéral supérieur.

Ces examens sont organisés par les organisations du monde du travail (OrTra). Les candidats peuvent préparer l’examen par leurs propres moyens, ou choisir de s’inscrire aux cours proposés par des organismes de formation privés, des institutions publiques ou encore les OrTra.

S’il réussit l’examen professionnel fédéral, le candidat est titulaire d’un brevet fédéral et porte alors, par exemple, le titre « d’informaticien avec brevet fédéral ». S’il réussit l’examen professionnel fédéral supérieur, il devient « diplômé » (par exemple, « designer graphique diplômé ») ou « maître » (par exemple, « maître jardinier »). Des possibilités sont alors ouvertes aux diplômés pour être admis dans une HES.

Conclusion

En Suisse, aucune porte n’est irrémédiablement fermée. À tous les niveaux, le jeune Suisse sait qu’il peut accéder au niveau supérieur d’études dans sa filière. Mais pas seulement : de nombreuses passerelles existent aussi pour passer d’une formation professionnelle à une formation générale, et inversement. Enfin, comme nous l’avons vu, grâce à la formation continue, l’adolescent Suisse sait qu’il peut, à tout moment, compléter sa formation initiale, apprendre et progresser. Le choix d’une filière fait à 15 ans ne le marquera pas sa vie durant.

En France, c’est plutôt l’inverse. Vos études vous marquent à jamais. Et si vous êtes passé par la filière professionnelle, et pire encore par l’apprentissage, vous êtes définitivement marqué au fer rouge. C’est cette spirale infernale qu’il faut casser.

Certes la tâche est loin d’être aisée pour Jean-Michel Blanquer (enseignement professionnel) et Muriel Pénicaud (apprentissage et formation continue). Mais les « big bangs » annoncés ne risquent-ils pas de faire long feu ?

En effet, nombres des réformes proposées ne s’affranchissent pas de l’Éducation nationale, qui parfois se trouve même renforcée. Or, comme nous le montre la Suisse, la voie de la réussite passe, alors même que l’enseignement est public, par l’implication des entreprises. Mais celles-ci, et leurs organisations professionnelles, sont-elles prêtes en France à relever le défi ?

[1] Selon François Garçon, Formation : l’autre miracle suisse, Presses polytechniques et universitaires romanes, 2014, p. 60.

[2] Ibid, p. 61.

[3] Christophe Raymond, cité par François Garçon, op. cité, p. 64.

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