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Les vertus indispensables dans l'entreprise

L’année dernière, dans ses vœux à la Curie romaine, le pape François avait dénoncé les 15 maladies qui pouvaient affecter ses collaborateurs, et par conséquent l’organisation elle-même. Cette année, il a mis l’accent sur les « vertus nécessaires » à celui qui veut servir l’Église. Ne peut-on les reprendre pour l’entreprise ?

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Lors de ses vœux de Noël 2014 à la Curie romaine, le pape avait défrayé la chronique et laissé pantois nombre d’auditeurs par sa dénonciation, parfois violente, des quinze maladies pouvant affecter ses collaborateurs.

Nous avions alors fait le constat que ces « maladies » étaient présentes dans les organisations, au premier rang desquelles les entreprises. Sans doute parce que les hommes se ressemblent et agissent, le plus souvent, de la même façon où qu’ils se trouvent.

Pour ses vœux de Noël 2015, le 21 décembre, le Souverain pontife a préféré mettre en avant les « vertus nécessaires » au bon accomplissement de leur mission par ses collaborateurs.

Les commentateurs ont jugé le pape moins « père fouettard » qu’en 2014, Année de la Miséricorde oblige. Mais le rappel de ces vertus – encore appelées « antibiotiques » par le pape – peut également être interprété comme soulignant un manque qu’il convient de combler.

Nous pouvons, nous semble-t-il, reprendre ces vertus pour l’entreprise. Elles sont au nombre de 24, regroupées par deux :

1. « Le caractère missionnaire et pastoral. Le caractère missionnaire est ce qui rend, et montre la curie fructueuse et féconde ; elle est la preuve de la vigueur, de l’efficacité et de l’authenticité de notre action. […] Le caractère pastoral […], c’est l’engagement quotidien à suivre le Bon Pasteur […]. »

Dans l’entreprise, il pourrait s’agir d’être ouvert sur l’extérieur – les clients, les concurrents, etc. –, de ne pas rester entre soi, de ne pas fonctionner en cercle fermé, simplement préoccupé par son pré carré. C’est aussi, sans doute, être fier de ce que l’on fait, de le faire savoir et ne pas dénigrer son entreprise à l’extérieur. Et « suivre le Bon Pasteur », c’est servir la finalité de l’entreprise.

2. « Aptitude et sagacité. L’aptitude demande l’effort personnel d’acquérir les qualités nécessaires et requises pour exercer au mieux ses propres tâches et activités, avec l’intelligence et l’intuition. Elle s’oppose aux recommandations et aux faveurs. La sagacité est la rapidité d’esprit à comprendre et à affronter les situations avec sagesse et créativité. »

Ici, on pense à la formation pour maintenir toujours à niveau ses connaissances et aptitudes professionnelles. Une responsabilité qui n’appartient pas seulement à l’entreprise, mais aussi au collaborateur lui-même. Il est également question du refus du favoritisme, du népotisme.

3. « Spiritualité et humanité. La spiritualité est la colonne vertébrale […]. Elle est ce qui nourrit toute notre conduite, la soutient, la protège de la fragilité humaine et des tentations quotidiennes. […] L’humanité est ce qui nous rend différents des machines et des robots qui n’entendent pas et ne s’émeuvent pas. […] L’humanité c’est savoir montrer tendresse et familiarité, courtoisie avec tous. »

Laisser un peu de place aux émotions, être attentif à son voisin de bureau, écouter ce que dit son interlocuteur, être poli et courtois… des qualités qui manquent parfois cruellement dans l’entreprise. Mais qui sont indispensables au bien vivre-ensemble.

4. « Exemplarité et fidélité. […] Exemplarité pour éviter les scandales qui blessent les âmes et menacent la crédibilité de notre témoignage. Fidélité à notre consécration, à notre vocation […]. »

Ne pas scandaliser, par exemple par des dépenses indues, un train de vie indécent, des rémunérations mirobolantes alors que, dans le même temps, les salaires des collaborateurs n’augmentent pas ou que les ramettes de papier sont contingentées. Aussi, ne pas tremper dans les malversations, les détournements, la malhonnêteté. Et puis, comme pour le caractère missionnaire et pastoral, toujours se référer à la finalité de son entreprise.

5. « Rationalité et amabilité. La rationalité sert à éviter les excès émotifs et l’amabilité à éviter les excès de la bureaucratie et des programmations et planifications. Ce sont des talents nécessaires pour l’équilibre de la personnalité […]. Tout excès est l’indice de quelque déséquilibre, aussi bien l’excès de rationalité que d’amabilité. »

Ne pas se laisser submerger par les émotions, mais ne pas non plus se cacher derrière les processus et les règles. Et éviter également trop de rationalité et trop de laisser-aller. Bref, tenir le juste milieu que préconisait Aristote. Pas toujours facile à tenir…

6. « Innocuité et détermination. L’innocuité qui nous rend prudents dans le jugement, capables de nous abstenir d’actions impulsives et précipitées. C’est la capacité de faire émerger le meilleur de nous-mêmes, des autres et des situations en agissant avec attention et compréhension. C’est faire aux autres ce que tu voudrais qu’il te soit fait. La détermination c’est agir avec une volonté résolue, avec une vision claire […]. »

Là encore, la finalité : savoir où l’on veut aller et pourquoi. Et puis, ne pas toujours succomber à l’urgence, maladie de nos organisations ; ne pas se précipiter, réfléchir avant d’agir. Il pourrait être question aussi de penser au collectif, à l’équipe de travail.

7. « Charité et vérité. Deux vertus indissolubles de l’existence chrétienne […] ; au point que la charité sans vérité devient idéologie d’un « bonnisme » destructeur et la vérité sans charité devient justice aveugle. »

La charité dans l’entreprise ? Et si c’était, une fois encore, l’attention portée à son collègue ? La bienveillance ? Et aussi se comporter en ami, pour citer encore une fois Aristote, c’est-à-dire comme quelqu’un avec qui on peut avoir une discussion franche, sans mentir, pour mieux discerner et prendre les bonnes décisions.

8. « Honnêteté et maturité. L’honnêteté est la rectitude, la cohérence et le fait d’agir avec sincérité absolue avec soi-même […]. Celui qui est honnête n’agit pas avec droiture seulement sous le regard du surveillant ou du supérieur ; celui qui est honnête ne craint pas d’être surpris, parce qu’il ne trompe jamais celui qui lui fait confiance. Celui qui est honnête ne se comporte jamais en maître sur les personnes ou sur les choses qui lui ont été confiées à administrer […]. L’honnêteté est la base sur laquelle s’appuient toutes les autres qualités. La maturité vise à atteindre l’harmonie entre nos capacités physiques, psychiques et spirituelles. Elle est le but et l’aboutissement d’un processus de développement qui ne se finit jamais et qui ne dépend pas de l’âge que nous avons. »

Qu’ajouter d’autre à ce passage limpide ?

9. « Déférence et humilité. La déférence est le talent des âmes nobles et délicates ; des personnes qui cherchent toujours à montrer un respect authentique envers les autres, envers leur propre rôle, envers les supérieurs, les subordonnés, les dossiers, les papiers, le secret et la confidentialité ; les personnes qui savent écouter attentivement et parler poliment. L’humilité, de son côté, est la vertu des saints et des personnes remplies de Dieu […]. »

Il est question ici de relations saines et respectueuses, et de lutte contre l’orgueil. Quant à Dieu, on peut le remplacer par la finalité, la vocation de l’entreprise, que chacun a à servir à la place qui est la sienne.

10. « Générosité et attention. […] plus nous sommes généreux d’âme et plus nous sommes ouverts à donner, sachant que plus on donne plus on reçoit. […] L’attention, c’est soigner les détails et offrir le meilleur de nous-mêmes, et ne jamais baisser la garde sur nos vices et nos manques. […]. »

Comment s’étonner de ne jamais recevoir si jamais on ne donne ? Il sera probablement plus facile de demander un coup de mains à ses collègues si l’on s’est déjà proposé de les épauler dans le passé. Et puis, toujours se rappeler que nous sommes faillibles, que l’on peut avoir tendance quelquefois à bâcler le boulot.

11. « Impavidité et promptitude. Être impavide signifie ne pas se laisser effrayer par les difficultés […] ; cela signifie agir avec audace et détermination et sans tiédeur comme un bon soldat ; cela signifie savoir faire le premier pas sans tergiverser […]. De son côté, la promptitude c’est savoir agir avec liberté et agilité sans s’attacher aux choses matérielles provisoires. […] Être prompt veut dire être toujours en chemin, sans jamais s’alourdir en accumulant des choses inutiles et en se fermant sur ses propres projets et sans se laisser dominer par l’ambition. »

Si l’ambition domine et si l’attention est centrée sur les choses matérielles, alors on n’est pas libre d’agir. Et c’est ainsi qu’on recule face à l’adversité car on a peur de perdre son confort. L’entreprise cultive parfois les ambitions personnelles au détriment de la mission à accomplir.

« Et finalement fiabilité et sobriété. Celui qui est fiable est celui qui sait maintenir ses engagements avec sérieux et crédibilité quand il est observé mais surtout quand il se trouve seul ; c’est celui qui répand autour de lui un climat de tranquillité parce qu’il ne trahit jamais la confiance qui lui a été accordée. La sobriété […] est la capacité à renoncer au superflu et de résister à la logique consumériste dominante. La sobriété est prudence, simplicité, concision, équilibre et tempérance. […] La sobriété est un style de vie, qui indique le primat de l’autre comme principe hiérarchique et exprime l’existence comme empressement et service envers les autres. Celui qui est sobre est une personne cohérente et essentielle en tout, parce qu’elle sait réduire, récupérer, recycler, réparer, et vivre avec le sens de la mesure. »

Dire que ce qu’on fait et faire ce que l’on a dit, en quelque sorte. Et ce même s’il n’y pas de sanctions, ni de récompenses. Servir au mieux les clients car ils sont les véritables patrons de l’entreprise, comme aimait à le rappeler François Michelin.

Le pape François, après avoir indiqué l’année dernière ce qu’il ne fallait pas faire, a développé cette fois-ci les vertus qu’il convenait d’adopter. On aurait aimé avoir le « comment », c’est-à-dire une indication des actions mises en place pour faciliter l’adoption, par chaque collaborateur, de la bonne attitude. On sait que le Souverain pontife s’efforce de donner l’exemple. Mais manifestement cela ne suffit pas.

Peut-être faudra-t-il attendre les vœux de Noël 2016 pour avoir quelques pistes « d’accompagnement du changement » ? Il est vrai – et cela reste une grande différence par delà les similitudes – que le temps de l’Église n’est pas celui des entreprises.

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