Les PME vont-elles négocier sur le temps de travail ?
La loi Travail, dite aussi loi El Khomri, a été définitivement adoptée le 21 juillet 2016. Elle est parue au Journal Officiel le 9 août, quand le Conseil Constitutionnel a rendu son avis après les recours déposés par des députés de droite, mais aussi de gauche.

Une des dispositions de la loi, que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises ici-même, prévoit qu'un accord négocié au sein de l'entreprise puisse remplacer un accord de branche en matière de temps de travail, même si les dispositions de la branche sont plus favorables pour les salariés.
Cette novation, tant décriée, s’inscrit, en fait, dans la continuité de la loi du 20 août 2008 qui a rendu possible de négocier les modalités d’aménagement pluri-hebdomadaire du temps de travail au niveau de l’entreprise. Et faute d’accord d’entreprise, la convention collective de branche s’applique de manière subsidiaire.
Il est vrai que, jusqu’à présent, cette faculté a été peu utilisée par les entreprises. Et l’on peut se demander si les PME, les premières intéressées par le fameux article 2 de la loi El Khomri, sauront s’emparer de cette nouvelle liberté (bien encadrée, tout de même !). Certains commentateurs prétendent que les PME se contenteront de la convention collective, et que seules les grandes entreprises pourront négocier des accords d’entreprise plus favorables.
Les freins pour les PME sont multiples. Tout d’abord, le temps manque souvent au dirigeant, qui est sur tous les fronts, pour s’impliquer pleinement dans des négociations qui peuvent être longues. Ensuite, il lui manque souvent le savoir-faire. Il n’a jamais négocié des accords sociaux, et ne sais pas comment s’y prendre. Puis, la connaissance « technique » lui fait aussi défaut. Mais, s’il veut vraiment négocier, il pourra toujours se faire aider par un avocat ou un conseiller juridique compétent.
Mais d’autres obstacles se profilent. A-t-il des interlocuteurs, en l’occurrence au moins un délégué syndical (DS) ? Probablement pas, car 89 % des entreprises de plus de 10 salariés n’en ont pas ! Il peut se tourner vers le ou les délégués du personnel (DP).
En effet, s’il existe un DP mandaté par un syndicat, un accord pourra être valablement négocié à la condition que le DP a recueilli au moins 30 % des suffrages aux dernières élections, et que l’accord recueille l’approbation de la majorité des salariés. Si le DP n’est pas mandaté, il doit avoir obtenu au moins 50 % des suffrages aux élections et l’accord devra être validé par une commission paritaire de branche.
Enfin, en l’absence de DP (ou si le DP n’a pas obtenu assez de suffrages), la négociation peut se dérouler avec un salarié mandaté par une organisation syndicale. L’accord devra alors recueillir l’approbation de la majorité des salariés.
Tout cela est quand même compliqué. Et, comme pour le patron, les interlocuteurs salariés seront-ils « compétents » pour négocier ? Eux aussi peuvent alors s’attacher les services d’un avocat ou d’un consultant juriste.
Et pourquoi pas le même conseil pour les deux parties ?
Et pourquoi pas le même conseil pour les deux parties ? Celui-ci pourrait alors agir aussi comme formateur, comme informateur, comme médiateur. Il serait précieux pour rédiger précisément le préambule de l’accord expliquant ses tenants et aboutissants, et ce afin que tous les doutes en amont soient levés. Et éviter ensuite les contentieux interprétatifs.
Au-delà de la compétence, qui peut donc se trouver à l’extérieur de l’entreprise, il est important que les acteurs aient la volonté d’avancer ensemble et soient de bonne foi.
Cela dit, on comprend tout de même qu’aujourd’hui les négociations dans les petites entreprises ne soient pas monnaie courante, et que patrons et salariés préfèrent recourir aux petits arrangements informels.
Mais cela n’est pas sans risque. Car on peut vite se retrouver en infraction. Il apparaît donc opportun de favoriser encore davantage la signature d’accords d’entreprise par plusieurs mesures simples et de bon sens.
La première consiste à fusionner, dans les petites entreprises, les rôles de DS et de DP. Un représentant du personnel (RP) qui aurait les deux rôles serait beaucoup plus pratique. Et dans les entreprises de plus de 50 salariés, on pourrait fusionner les DS, DP et comité d’entreprise (CE). Un interlocuteur unique, quel que soit le sujet serait une vraie simplification.
Deuxième mesure, supprimer le monopole des syndicats pour présenter des candidats au premier tour des élections du personnel. N’importe quel salarié pourrait être élu s’il recueille les suffrages suffisants. On aurait ainsi davantage de chances d’avoir une représentation du personnel débarrassée des postures idéologiques, et plus proche du terrain.
Troisièmement, laisser aux entreprises la liberté d’adhérer ou non à la convention collective de leur branche. Si elles choisissent de ne pas adhérer, seul le code du travail s’appliquerait et, éventuellement, les accords d’entreprise négociés et signés avec les RP.
Permettre de déroger au droit commun par le contrat de travail
Enfin, mesure la plus audacieuse, permettre de déroger au droit commun, non plus seulement par un accord d’entreprise, mais tout simplement par le contrat de travail. On pourrait alors avoir des contrats différents d’un salarié à l’autre, quant à la durée hebdomadaire du travail ou le nombre de jours de congés par exemple.
La loi El Khomri n’a pas épuisé le sujet de la liberté de négocier, loin s’en faut. Surtout qu’elle ne sera peut-être jamais appliquée : en mai 2017, une nouvelle majorité pourrait défaire ce que l’actuelle vient de voter, d’autant plus facilement que les décrets et circulaires d’application ne seront pas encore tous sortis, loin de là.