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Bébert, le syndicaliste devenu patron

Raphaël Garcia a été syndicaliste. Un « pur et dur », au premier rang de tous les combats de la sidérurgie. Il a occupé des postes importants : secrétaire du premier comité de groupe d’Usinor, membre du comité exécutif de la FTM-CGT, membre du Conseil d’administration d’Usinor-Sacilor. Puis, viré de la CGT, il devient patron. Son nouveau livre [1] est passionnant à plus d’un titre.

Pour des managers au plus près du terrain

Tout commence en Algérie. Bébert, d’origines arabo-andalouses, naît et vit à Sidi Bel Abbès jusqu’au jour où la famille doit choisir entre « la valise et le cercueil ». Le retour en Métropole est difficile : Bébert et les siens vivent dans une extrême pauvreté ; ce sont des « indigents ». De plus, à Montataire, dans l’Oise, près de Creil, où ils s’installent, l’accueil n’est pas des plus agréables.

Très tôt, donc, Bébert a des comptes à régler, « une revanche à prendre ». Il rêve de révolution socialiste mondiale. Il veut combattre le capitalisme, mais il s’oppose aussi au stalinisme. C’est ainsi qu’il se mobilisera pour Vaclav Havel et la Charte 77, pour Bobby Sands et les mineurs anglais grévistes de la faim, pour Mandela, pour la chute du Mur de Berlin, et bien sûr… contre Pinochet. À 19 ans, il adhère à la CGT.

Bébert débute sa vie professionnelle au Ministère de l’Équipement. Mais, très vite, il se rend compte que la vie de fonctionnaire n’est pas faite pour lui. Pas assez de mouvement. Il présente alors sa candidature à Usinor Montataire qui recrute un comptable. Il est embauché le 1er novembre 1973. Et, trois mois plus tard, le 28 janvier 1974, il est sur son premier piquet de grève à l’occasion d’une journée d’action nationale. Un acte presque « révolutionnaire », car il est le seul administratif parmi les ouvriers.

À 25 ans, il devient secrétaire à la propagande du syndicat CGT d’Usinor Montataire, un poste clé. Et à partir de là, attiré par le pouvoir, Bébert va prendre des responsabilités dans le syndicat et à la Fédération de la métallurgie, la FTM-CGT.

Le 10 mai 1981, Bébert et ses camarades pensent que le « grand soir » est arrivé. Usinor et Sacilor sont nationalisées. Le slogan des militants syndicaux devient « Usinor est à nous ». Puis c’est la désillusion, « l’espoir trahi ». Le plan de modernisation de la sidérurgie, en 1982 et 1984, prévoit plus de 16 000 suppressions d’emplois.

De nombreux conflits sont décrits, à Usinor Montataire bien sûr, mais plus largement dans les nombreuses villes du nord et de l’est de la France touchées par les restructurations de la sidérurgie. De véritables plongées au cœur même des grèves, des manifestations, des coups d’éclat qui donnent tout son sel à l’ouvrage.

Les ministres communistes au gouvernement n’ont pas empêché ces restructurations. Et la CGT de cette époque prend toujours ses consignes place du Colonel Fabien. De là va naître un autre conflit, au sein même de la FTM-CGT, entre les communistes (appelés « enclumes » ou « Khmers rouges ») et les réformistes (« modernistes » ou « Juquinistes »). Un conflit qui culmine en 1988 avec la démission du secrétaire général de la FTM, André Sainjon, qui quitte définitivement la CGT.

Proche de Sainjon, et non membre du PCF, Bébert est sous étroite surveillance. Il faut dire que, dès ses premiers engagements, il n’a pas fait preuve de la plus grande orthodoxie. Il desserre la mainmise des communistes sur le syndicat CGT d’Usinor Montataire. Il fait la chasse à ceux qui sont « planqués derrière les heures de délégation » (42 000 annuelles en 1977 !). Sans rejeter le combat de classe, il souhaite que le syndicat s’ouvre aux évolutions de l’entreprise. Il enjoint le syndicalisme à se détacher de la logique de poste pour s’intéresser aux notions de métiers et de compétences. Il est favorable aux conventions générales de protection sociale de la sidérurgie (CGPS) qui accompagnent les restructurations, mais que la CGT ne signera pas au nom de l’antagonisme de classe.

En septembre 1988, Bébert s’oppose, lors d’une réunion de la commission nationale de la sidérurgie CGT, aux communistes qui ont repris l’appareil en main après le départ de Sainjon. C’est l’occasion rêvée pour les « apparatchiks » de régler définitivement le cas Bébert. A lieu alors un véritable « procès stalinien » décrit dans le détail. L’issue était connue d’avance, Bébert est « viré ». Il n’a plus de mandats.

De retour à Montataire, Bébert est soumis à de constantes provocations. Ses amis sont écartés du syndicat. Les communistes prennent le pouvoir. Et la CGT perd les élections et le comité d’établissement de Montataire !

Il quitte Usinor et crée, avec André Sainjon, l’Institut de recherches et d’initiatives sociales européennes (IRISE). Puis, bénéficiant de l’aide de Sodie, la structure de reconversion d’Usinor-Sacilor, en 1991, il crée son entreprise de conseil en relations sociales et syndicales.

À la fin de l’ouvrage, il est relaté une rencontre fictive entre Bébert – le syndicaliste – et Raphaël – le patron. Il apparaît clairement que le second est l’enfant du premier.

Bébert entendait occuper toutes les parcelles de terrain de l’entreprise, abandonnées par les managers atteints de « réunionnite ». Aujourd’hui, Raphaël appelle les dirigeants d’entreprise à « libérer le temps des managers » pour « leur permettre d’être visibles et lisibles dans les ateliers, services et bureaux ».

Mais Raphaël s’est aussi émancipé de Bébert. Il dénonce en vrac les « usines à gaz » que sont devenues les organisations, les « outils et indicateurs de contrôle » privilégiés au détriment de la motivation des salariés, la « perte d’autorité des managers » et d’autonomie de leurs équipes, la « bureaucratie et les procédures » qui rassurent peut-être mais « aliènent » toujours. Il se prononce pour « l‘initiative, la créativité, la liberté » dans les organisations, sources de « motivation et de performance ». Il en appelle à un syndicalisme qui mette « le syndiqué au cœur », qui permette « l’extraction de l’individu du groupe anonyme », qui accepte la critique et renoue avec le débat contradictoire. Il rêve de relations sociales qui soient « coopérations et constructions de la performance et de l’efficacité sociale de l’entreprise ».

Et si nous rêvions avec lui ?

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