La mère de toutes les réformes
Quelle serait la mère de toutes les réformes ? Mais la réforme de l’État pardi ! Ce n’est pas moi qui le dis, mais Terra Nova, la boîte à idées du Parti socialiste, aujourd’hui présidée par François Chérèque, l’ancien patron de la CFDT.
Cette fondation, qui se qualifie elle-même de progressiste, vient de publier un rapport de 137 pages intitulé : « L’action publique et sa modernisation : la réforme de l’État, mère de toutes les réformes ».
La première partie du rapport dresse un constat de l’action publique, qualifié d’alarmant par les rédacteurs. C’est aussi un constat sans appel. En effet, les auteurs affirment que notre « organisation administrative date pour une large part de Napoléon, et les grands principes de la culture administrative restent ceux du XIXème siècle : un État omniprésent et paternaliste qui autorise, contrôle et veut organiser toute la vie sociale ». Plus loin, on peut lire que « l’action publique n’apporte pas aux citoyens et aux entreprises la valeur ajoutée en proportion avec les moyens alloués ».
La deuxième partie du document est consacrée aux remèdes. Terra Nova souhaite une action publique « pertinente, simple et agile ».
Par pertinente, le groupe de travail entend « adaptée aux risques ». C’est ainsi, est-il précisé, que l’on confond « le contrôle interne de la norme (la régularité de la décision) et la qualité du service aux citoyens/entreprises : si la norme est régulièrement appliquée, l’objectif est considéré comme atteint ». Il faudrait donc, selon le think tank, cesser de dépenser des moyens importants pour autoriser et contrôler des domaines pour lesquels les risques sont limités. Par exemple, les pharmacies sont contrôlées , notamment sur leurs conditions de fonctionnement ou les usages détournés de médicaments , en moyenne, tous les 27 ans par les pharmaciens inspecteurs de santé publique (PHISP). La probabilité de se faire contrôler n’est pas dissuasive pour un fraudeur potentiel. Le contrôle pourrait donc être supprimé. Autres pistes : analyser la valeur ajoutée de chaque politique publique, ou encore vérifier l’effectivité et l’efficacité de l’action publique.
Simple, c’est, pour Terra Nova, diviser par deux la taille de tous les codes en trois ans, ou encore « ne pas exiger des usagers des services publics des informations détenues par une autre administration ». Pour avoir dernièrement fait refaire la carte d’identité de ma fille, je vois concrètement de quoi il s’agit !
Enfin agile pourrait consister – je ne cite qu’un exemple – « à donner un accès libre et gratuit aux usagers aux données payées par le contribuable ». Des expériences étrangères montrent que l’État pourrait y gagner. Ainsi, aux États-Unis ou au Danemark, la mise à disposition gratuite de données géographiques ou météorologiques a finalement rapporté davantage que leur vente par les administrations concernées. En effet, la gratuité des données a entraîné un accroissement de l’activité économique et, corrélativement, des rentrées fiscales.
Quant à la troisième et dernière partie de l’étude, elle s’intitule « ‘Comment réformer ?’, une question aussi importante que ‘Quoi faire ?’ ». La question est bien posée. Mais les réponses apportées sont surtout faites de bonnes intentions, voire de poncifs. Ainsi est-il question d’avoir une « stratégie claire » et un « calendrier réaliste », de « repenser l’organisation », de professionnaliser la conduite de projets et l’accompagnement du changement, etc. Comment ne pas être d’accord avec tout cela ? Mais ces mesures suffiront-elles à rendre la modernisation de l’État possible ?
Les auteurs du rapport évoquent aussi l’idée de réformer la gestion des ressources humaines, mais il s’agit d’une réforme bien timide sans remise en cause du statut, défendu bec et ongles par des syndicats réactionnaires et véritable frein à toute « modernisation ».
Mais ce qui rend vraiment cette partie du rapport fragile est sa première proposition : « une implication politique forte ». Ne voit-on pas qu’aujourd’hui le principal obstacle à toute réforme vient d’abord des politiques eux-mêmes qui n’osent pas, et bien souvent ne veulent pas, commencer un tel chantier ?
Cela dit, comment ne pas se réjouir qu’un think tank socialiste se soit intéressé à un sujet aussi essentiel ?
Car c’est bien le social-démocrate Schröder qui a permis les réformes du marché du travail en Allemagne en renforçant la lutte contre le chômage volontaire et en facilitant le retour à l’emploi des bénéficiaires d’allocations.
C’est bien le travailliste Lange, en Nouvelle-Zélande, qui a rompu avec le dirigisme économique dès 1984, en réduisant les impôts, diminuant la fonction publique, supprimant les subventions, allégeant les réglementations…
C’est bien le libéral – au sens nord-américain, c’est-à-dire de gauche – Chrétien qui a assaini les finances publiques canadiennes avec un remède de cheval : la réduction de 20 % en cinq ans du nombre de fonctionnaires fédéraux et le retour à un budget excédentaire.
Certes, le gouvernement actuel ne semble pas emprunter ce chemin. Mais il est permis de rêver – ou de faire le vœu, c’est le moment – qu’en France, un gouvernement socialiste s’empare un jour du sujet à bras-le-corps. Car, pour l’instant, l’opposition ne le fait pas.