Le nouveau mur des fermiers généraux
L’octroi, taxe municipale sur l’importation des marchandises, semble attesté dès le XIIème siècle à Paris. Bien entendu, comme tout impôt en France, il se développa fort bien. D’ailleurs, Beaumarchais voyait dans la progression constante de l’octroi une des causes de la Révolution française.
Vous savez que le Français aime l’impôt à la condition que ce ne soit pas lui qui le paie. Par conséquent, sa roublardise aidant, il inventa quantité de stratagèmes pour échapper à l’octroi.
Pour éviter les fraudes de plus en plus nombreuses, les fermiers généraux – qui collectaient l’impôt – suggérèrent au roi de construire une enceinte autour de Paris. Ce fut le mur des fermiers généraux, érigé entre 1784 et 1790, percé ça et là d’ouvertures – les barrières d’octroi – destinées à introduire – et à taxer – les marchandises nécessaires à la consommation des habitants. Le mur perdura jusqu’en 1860. Quant à l’octroi, il faudra attendre 1943, en pleine période de rationnement, pour le voir disparaître !
Ce petit rappel historique a le mérite de souligner que les problèmes liés à la fiscalité ne datent pas de ce gouvernement. Il nous permet aussi de nous demander si un nouveau mur des fermiers généraux n’est pas en train d’apparaître.
Dès le début du printemps dernier, je m’étais inquiété de ces portiques, équipés de capteurs et de caméras, qui apparaissaient sur nos routes. En effet, je craignais un mauvais coup des pouvoirs publics. Ce n’est que depuis quelques semaines que j’ai enfin compris : ils sont destinés à vérifier que les poids-lourds respectent l’obligation d’être équipés d’un boîtier GPS. Boîtier GPS qui permettra de suivre les camions à la trace, et donc de savoir s’ils ont emprunté une route soumise à la nouvelle écotaxe.
Ces portiques de l’écotaxe – dont on ne sait aujourd’hui ce qu’ils vont devenir – sont les nouvelles barrières d’octroi. Et entre ces barrières, le gouvernement s’acharne à construire un nouveau mur des fermiers généraux, fabriqué à l’aide de taxes, surtaxes, impôts, contributions, majorations de toute sorte.
Horace Say, fils du célèbre Jean-Baptiste, a publié, en 1847, Paris, son octroi et ses emprunts, un plaidoyer contre cet impôt. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer deux extraits d’une étonnante actualité :
le premier porte sur les comparaisons européennes : « On est rarement bien venu chez nous lorsqu’on se permet d’invoquer comme exemple ce qui se passe à l’étranger ; et cependant, quand on songe aux faits économiques dont l’Angleterre nous rend témoins ; quand on porte une attention sérieuse sur les quatre grandes réformes accomplies en six ans par nos voisins, et dont chacune équivaut pour les résultats à de grandes révolutions ; quand on voit les avantages réels et positifs qu’ils ont obtenus déjà par la réforme postale, par l’application modérée de la taxe sur les revenus, par les changements fondamentaux que deux réformes de tarif ont apporté dans le régime des douanes, on ne peut s’empêcher de faire un triste retour sur les affaires intérieures de notre patrie, puisque dix années paraissent encore un délai trop court chez nous pour préparer la suppression des octrois ».
le second est relatif à une des solutions pour supprimer l’octroi : « Enfin, si je ne craignais d’être appelé séditieux ou pour le moins utopiste, je me hasarderais peut-être à parler de réduction des dépenses […] ».
Décidément, rien ne change dans ce pays. Ce qui n’est pas pour nous rassurer alors que tout change autour de nous.
Mais revenons à Horace Say pour mettre en avant deux de ses arguments contre l’octroi, qui, eux non plus, ne font pas leurs quelque 170 ans.
Say a calculé que les frais de perception de cet impôt sont de 2 millions de francs pour 48 de recettes. Un taux de recouvrement de plus de 4 %, c’est en effet élevé. Et cela n’est pas sans rappeler celui de feue la vignette automobile (5,38 %), ou de l’ISF (2,13 %, contre une moyenne française de 1,2 %). Bref, Say pense qu’un impôt qui coûte si cher à percevoir, et qui rapporte si peu – seulement 25 millions de francs pour la ville de Paris, le reste allant à l’État – n’a pas lieu d’être.
Horace Say insiste également sur le nombre de citoyens qui, pour échapper à l’octroi parisien, quittent la capitale pour établir leur commerce ou leur artisanat en banlieue. À cet égard, nous pouvons rappeler que le vin était l’un des produits les plus visés par l’octroi (près de 30 % du produit de la taxe). Ainsi, les Parisiens, pour pouvoir s’abreuver à leur convenance sans se ruiner, se rendaient en banlieue pour consommer dans des établissements ouverts spécialement pour eux, les fameuses guinguettes des bords de Seine ou de Marne.
Le nouveau mur des fermiers généraux qui enceint la France de ses six côtés pousse, lui aussi, certains de ces habitants à émigrer. Pas seulement pour aller faire la fête ailleurs, dans les guinguettes que sont les pubs londoniens ou les estaminets bruxellois. Ils partent, comme ces 35 000 foyers fiscaux qui ont quitté le pays en 2011, pour entreprendre, développer un projet, innover, investir, créer des emplois…
Peu avant la Révolution, un alexandrin se propageait de barrière d’octroi en barrière d’octroi : « Le mur murant Paris, rend Paris murmurant ». Nous pourrions actualiser ce vers. Je propose : « Les taxes taxant la France, rendent la France désaxée ». Mais, je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un alexandrin. Alors, n’hésitez pas à faire part de vos propositions…